jeudi, mai 06, 2010

La fille qui était morte

C'est en rentrant chez moi que je l'ai vue.

Elle était là, sur le sol. La tête contre le trottoir. Le bourbon m'embrumait les yeux, et encore plus l'âme. J'avais mis un pied dans la flaque et manqué de m'étaler de tout mon long dans ce mélange de boue et de sang.
Putain de merde. Maintenant, il faut vraiment que je change de godasse et de chaussettes. Je les sens humides, noyées. Je me suis retourné et j'ai vomi un bon coup.

Encore une rasade de whisky du Kentucky.

Je me suis senti un peu plus courageux. Ou alors, j'ai eu le coeur un peu moins sensible après avoir allégé mon foie. Je l'ai regardée à nouveau. Elle était assez belle en fait. Brune, les cheveux collés sur son visage m'empêchaient de voir ses yeux. Mais j'ai eu envie de croire qu'ils était verts comme le jade. Un peu de pluie aurait pu lui rincer le visage.

Il ne pleut jamais quand il faut dans cette ville. Comme en enfer.

Petit nez en trompette. Des lèvres pulpeuses d'un rose naturel, plein de vie. Enfin presque.
Elle avait le joli minois de ces campagnarde qui arrivent dans la grande ville pour être mannequin ou actrice, et qui finissent sur le trottoir la gueule pleine d'héro et le cul gavé de sperme. Mais elle n'était pas ça. C'était évident.
Elle avait un cou fin, et meurtri, comme celle qui ont la tête trop lourde à cause des soucis de la vie, ou des excès de sobriété. Des épaules dont j'aurais pu faire le tour avec le bras sans peine pour la ramener contre moi. Ses seins était petits, ronds comme des agrumes qui appellent les baisers.

Tiens, j'y pense, elle sentaient l'orange; l'orange sanguine.

Je me suis approché d'elle, et j'ai posé un genoux par terre. Je me juste dit que je n'aurais qu'à foutre en l'air le pantalon avec tout le reste. J'ai posé ma main contre son coeur, entre ses seins. Il ne battait plus. Ensuite, j'ai glissé ma main sur sa cuisse droite. Juste au dessus de son genoux brisé. Elle avait la peau douce et mouillée, mais elle n'était pas poisseuse. J'ai remonté ma main doucement, pas trop loin; assez pour noter qu'elle ne portait pas de culotte.

Vouloir mourir sans culotte, original.

J'ai remarqué les cicatrices sur son poignet. J'ai imaginé sa souffrance. Je l'ai vécu à travers son cadavre. Je n'ai pas pleuré. Elle n'aimerait pas. J'ai écarté d'un geste délicat les mèches de ses yeux. Ils n'étaient pas verts, mais plutôt noir. Ca n'avait aucune importance, la nuit, les yeux sont comme les chats. Ils brillaient légèrement.
Elle n'a pas eu mal. Tant mieux. Elle devait avoir besoin d'être soulagée.
Je lui ai chuchoté:
"Ca y est mon amour, la douleur est partie".
J'ai rapproché mon visage du sien, et je l'ai embrassé. Comme on embrasse un nouveau né en porcelaine. A cet instant, le silence nous a envelloppé. Je pouvais même entendre les rats laper son sang. Elle n'était plus morte. Je n'étais plus vivant. L'éternité avait rempli nos âmes, et les avait vidées.

J'ai su qu'il étant temps que je me redresse, et que je la laisse s'endormir. Je lui ai versé un peu d'alcool dans la bouche, avant de finir la bouteille en observant son sommeil.
Une petite demi-heure plus tard, je me suis rentré.
Je lui ai lancé un: "ciao babe". Et puis j'ai réalisé qu'il allait aussi falloir que je balance mon imper.

Voilà comment je suis tombé amoureux de la fille... qui était morte.